Aux membres et usagers-ères de L’En-Droit de Laval
Le conseil d’administration de L’En-Droit de Laval a dû prendre des décisions très importantes. Il devait tenir compte que notre bail commercial entre échu au printemps 2019 et il fallait signifier au propriétaire si on désirait le reconduire ou non. Le Conseil d’administration a donc du réfléchir à cela. Il faut savoir que la qualité de l’immeuble s’est détériorée avec le temps comme c’est le cas dans Pont-Viau et Laval-des-Rapides pour l’ensemble des immeubles tant résidentiels que commerciaux. Les usages du local par le locataire au premier étage et au sous-sol ont contribué à la détérioration. Nous avions de bonnes raisons de croire qu’il y avait un niveau d’humidité tel que cela aurait pu entrainer l’apparition de champignons et de spores et cela aurait représenté un risque élevé pour la santé de nos usagers et usagères ainsi que de nos employéEs. Un conseil d’administration a des responsabilités légales et lorsqu’il prend connaissance d’informations de risques élevées pour la santé et la sécurité, il doit agir.
Pour certainEs usagers et usagères, la qualité des locaux de L’En-Droit n’est pas autant épouvantable que celle de leur logement. On peut bien comprendre que quand on se compare on se console mais ceci ne justifie pas de se maintenir dans des conditions condamnables. Pour un prix comparable, il pouvait être possible de trouver beaucoup mieux au niveau de la qualité de local.
Maintenant, un autre local peut ne pas permettre les mêmes services offerts. Il fallait donc s’interroger sur les services qu’on voulait maintenir, voire améliorer, et ceux qu’on était prêt à abandonner. Notre mandat, à la base, est celui de la défense des droits. Celle-ci peut être individuelle, systémique ou collective. Dans les années 1970 et 1980, les membres des organismes de défense des droits venaient librement dans les locaux surtout pour faire des tâches liés à une action collective. Ils et elles n’y venaient pas pour placoter, prendre du bon temps et s’amuser. Les organismes n’étaient pas des milieux de vie même si les usagers et usagères membres y venaient sans rendez-vous.
En 1996, à L’En-Droit, pour ne pas donner l’impression qu’on voulait faire de l’organisme un bureau d’avocat, il a été décidé que l’accès serait libre et qu’il serait toujours possible de rencontrer un conseiller même s’il n’y avait pas eu prise de rendez-vous à l’avance. Pendant un certain temps, L’En-Droit disait offrir un service de drop-in et réclamait un financement pour celui-ci. Certes, pour mobiliser, il y avait un groupe d’habitués solidaires qui pouvait se lever si besoin était. En 2010, la nouvelle coordination a tenté de créer des conditions pour faire en sorte que l’accueil libre serve le mandat de défense des droits. À ce moment-là, une des luttes importantes était de faire vivre l’alternative en santé mentale à Laval. Les usagers et usagères insatisfaitEs des ressources communautaires existantes venaient à L’En-Droit de Laval. En 2014, nous avons voulu démontré qu’il y avait un besoin pour un centre de soir, d’où l’idée d’un Centre multi services.
On voyait néanmoins que l’accueil libre pouvait poser problème si on ne réussissait pas à la canaliser pour la défense des droits. L’accueil libre impliquait une vie associative et un milieu de vie informel avec ses conflits interpersonnels. Le temps qu’on mettait pour résoudre des conflits, on ne le mettait pas pour organiser des luttes et transformer le réseau de la santé pour qu’il réponde aux besoins des usagers. Nous avons demandé du financement au gouvernement pour avoir deux locaux séparés en mesure, d’une part, d’accueillir le centre multi services ainsi que des intervenantEs de milieu et, d’autre part, permettre d’organiser notre mandat de défense des droits sans les désagréments de la coexistence avec un milieu de vie. Nous n’avons pas eu le financement pour ce faire.
Entre temps, depuis deux ans, nous avons une ressource communautaire qui fait revivre les mesures alternatives en santé mentale à Laval et les nouvelles sont bonnes pour avoir une OBNL d’habitation faisant vivre un milieu de vie alternatif en santé mentale. Dans ce contexte, la perte de l’accueil libre à L’En-Droit ne serait pas vraiment préjudiciable pour les usagers et usagères puisque des alternatives existent. Ceci n’était pas le cas, il y a quelques années.
Par contre, le réseau de services publics en santé mentale à Laval ne s’est pas tellement amélioré. Un organisme comme L’En-Droit ne peut remplacer le réseau à lui tout seul. Sa tâche est d’organiser la lutte pour l’amélioration des services en santé mentale à Laval. Les usagers et usagères de L’En-Droit y aiment les employéEs pour leur écoute et pour le lien de confiance qui s’y établi. Pourquoi entre les intervenantEs du réseau, notamment les psychiatres, et les usagers-ères, ce lien de confiance, cette complicité dans les soins, ne pourrait-il pas s’établir ? Pourquoi certainEs de nos usager-ères trouvent pire leur séjour à l’hôpital que celui dans une prison ? Pourquoi tant d’autorisations judiciaires de soins à Laval et pourquoi certainEs psychiatres les utilisent pour menacer leurs usagers et usagères s’ils et elles refusent de prendre leurs pilules ? Pourquoi le département psychiatrique ne permet comme seul loisir l’écoute de programmes de télévision complètement imbéciles ? Pourquoi les usagers se perçoivent infantilisé ou instrumentalisé dans le réseau ? Pourquoi encore ce « traitement » hasardeux que représente les électrochocs ? Les conditions pour mettre le patient au cœur des soins et créer une véritable alliance thérapeutique ne sont pas là. Certes, on reconnait une volonté des intervenantEs dans le réseau pour améliorer les choses. Néanmoins, les premières personnes concernées se sont les personnes utilisatrices de services de soin et c’est pour la défense de leurs droits qu’existent L’En-Droit de Laval.
À Laval, 20% des gens ont connu ou connaîtront
un épisode de santé mentale dans leur vie. Ils et elles connaîtront l’incompréhension de leur entourage, des préjugés de la population, une exclusion du marché du travail, la pauvreté, le risque de se retrouver dans des logements de basse qualité et des services sociaux et de santé mal adaptés à leurs besoins. Intervenir au niveau de la défense des droits c’est aussi intervenir au niveau des déterminants sociaux de la santé mentale. L’En-Droit a travaillé au niveau de la problématique du logement social avec succès. Il a fait activement la promotion des ressources alternatives en santé mentale de manière à créer un contrepoids au courant de médecine biomédicale et permettre un vrai choix au niveau des traitements. Il reste d’autres domaines où intervenir. Il reste un réseau de santé et de services sociaux à réellement transformé. Et oui, nous croyons que c’est possible d’avoir des services qui respectent les droits des usagers et qui se basent sur les droits.
Pour arriver à cela, on doit mieux s’organiser. On doit mettre le focus sur notre mandat. On doit préparer nos dossiers et nos présentations. On doit prendre le temps pour saisir les réalités vécus, expliquer les tenants et aboutissants des situations et proposer des solutions diverses. On doit organiser nos activités, nos comités, mobiliser les participantEs. On doit aller dans les autres groupes faire des exposés. On doit aller protester sur les terrains de la Cité de la Santé. On doit faire un journal critique, contestataire et argumentée. On doit avoir un site web percutant. On doit déployer notre travail pour qu’il rayonne sur l’ensemble du territoire lavallois.
Et cela ne se fait pas qu’avec des ressources bénévoles. L’organisme doit embaucher des salariéEs et doit fournir à ces derniers et dernières un cadre de travail pour y arriver. Nos employéEs sont confrontés à beaucoup de tension psychologique. Se faire confier des événements de vie lourds, c’est stressant. Toujours être en présence d’un contexte bureaucratique compliqué et absurde difficilement compréhensible, c’est frustrant. Les employéEs se demandent si, au gouvernement, c‘est le mot d’ordre: « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ». Constater de visu les injustices et la misère vécus par nos usagers et usagères, ça affecte le moral. Nos employéEs doivent avoir la possibilité de prendre du recul et de la distance mais, pour des gens qui ont à cœur la lutte contre les injustices, ce n’est pas évident. Gérer distanciation, engagement et empathie n’est pas facile.
Dans les milieux populaires, il n’est pas rare qu’il y règne une promiscuité. Par exemple, dans un 4 et demi, on peut se retrouver avec 5 personnes. Quand il y a beaucoup de monde, dans un petit espace, on peut se piler sur les pieds et il y a des risques plus grands de conflits. Pour survivre à ça, on prend l’habitude de cela. Force est de reconnaître qu’on vivait cela à L’En-Droit. Cela ajoute à la tension psychologique que vit déjà le personnel. La cohabitation entre l’accueil libre et le service de défense des droits n’a jamais été évidente et on a toujours demandé à l’agence du financement pour créer une séparation entre les espaces dédiés à l’accueil libre et ceux dédiés pour notre intervention en défense des droits. On n’a pas eu ce financement.
On peut offrir des bonnes conditions financières pour attirer des employéEs. On peut compter sur leur dévouement et leur engagement. Néanmoins, si le contexte psychologique est lourd, veut veut pas, la prestation de service des employéEs sera affectée. Le domaine n’est pas facile et demande déjà à composer avec des facteurs anxiogènes et stressants. Embaucher des super héros capables de survivre aux injustices, à la bureaucratie, à l’arrogance de certainEs fonctionnaires et psychiatres, aux conflits interpersonnels, ce n’est pas réaliste. Notons aussi que le personnel qu’on veut recruter peut aller travailler ailleurs. Des indicateurs économiques laissent entendre qu’il y a de plus en plus une pénurie de main-d’œuvre au niveau du communautaire et du domaine de la santé et des services sociaux. La coordination et le Conseil d’administration de L’En-Droit doit tenir compte de ces réalités de gestion.
Nous avons tenté d’aménager l’accueil libre pour faire en sorte que cela donne de meilleurs résultats en termes de bénéfices pour notre mandat de défense des droits. On ne peut pas nier que cela avait des bons côtés. Cependant, on doit tenir compte de ce que cela en coûte en ressources humaines, des nécessités de notre mandat et du besoin de toute la population lavalloise qui vit ou vivra un problème de santé mentale durant leur vie.
Le nouveau local ne permettra pas une présence permanente d’usagers et usagères ne serait-ce qu’à cause qu’il n’y aura pas de terrasse où aller fumer. Cela ne parait pas mais le café, s’il était gratuit pour les membres, coûtait cher à l’organisme.
Pour toutes ces raisons, le conseil d’administration a décidé qu’il fallait déménager et mettre fin à l’accueil libre le 28 février 2019 à 17h00. Les usagers-usagères qui iront dans les nouveaux locaux devront avoir pris au préalable un rendez-vous ou pourront venir durant des moments précis pour participer à des activités ou des comités.
Richard Miron, Coordonnateur
Marie Brisebois, Présidente du Conseil d’administration