Depuis quelques années, dans le domaine de la santé mentale l’institution semble reconnaître le savoir expérientiel des personnes utilisatrices de service dans le réseau de la santé et services sociaux. Cela apparaît positif. Il est sûr que, ne pas considérer l’expérience de l’usager ou de l’usagère au niveau de ses soins est absurde. C’est quand même cette personne qui doit être au cœur de ses soins.
Le réseau a laissé entendre qu’il souhaitait donner une place aux usagers-ères lorsqu’il s’agissait de les consulter sur des projets pour améliorer les services offerts. On sait qu’il y a plusieurs usagers-ères. Ils et elles ne peuvent pas tous siéger dans des comités. On sait qu’il y en a qui ont la parole plus facile. D’autres sont gênés de parler en public mais ont des affaires très pertinentes à dire. Dans les faits, pour faire avancer les travaux des comités de manière à ce qu’ils tiennent compte des besoins collectifs des usagers, il faudrait des usagers participants qui consultent les autres pour amener les points les plus pertinents pour l’ensemble. Est-ce cela qui s’est fait?
Dans les tables, on retrouve non seulement des usagers mais des gens de l’institution et des représentants d’organismes communautaires. Il y a plusieurs agendas qui peuvent plus ou moins concorder. Les gens de l’institution et du communautaire sont accoutumés à ces réunions souvent longues et soporifiques. Ils et elles savent placer leurs pions et les déplacer habilement. Dans ce contexte, les usagers-ères peuvent se sentir dépourvus et pas écoutés s’ils n’ont pas l’habitude de ces tables.
En pratique, les gens de l’institution qui voient beaucoup d’usagers-ères ne se sont pas gênés pour inciter certainEs usagers-ères à la parole plus facile et avec une certaine expérience de la parole publique à siéger dans ces comités. Il s’est créé le phénomène des patientEs-partenaires. Dans le réseau, on les présente comme des succès du rétablissement et on voudrait qu’ils partagent leur savoir expérientiel avec les autres usagers-ères.
En réalité, pour une grande partie des usagers-ères, voire une majorité, les services offerts en santé mentale, ça n’a pas été les gros chars. En d’autres mots, ça n’a pas été vargeux pantoute. CertainEs ont pu réussir à trouver des solutions au travers d’organismes communautaires prônant des mesures alternatives, d’autres n’ont pas trouvé de solutions pour leurs problèmes. À l’évidence, ils et elles risquent de ne pas être représentés sur ces tables et comités si on les paquete avec des patientEs-partenaires qui ont connu des « succès ». Pour ces derniers et dernières, le réseau a donné des résultats « positifs ». Pourquoi le critiquer dans ce contexte?
Dans l’histoire, le progrès dans la science et la connaissance s’est rarement fait de manière individuelle et isolée. Ça arrivait souvent que deux inventeurs se revendiquaient en même temps de la paternité d’une découverte alors que, dans l’époque où ils étaient, les savoirs étaient tels que la découverte de l’invention ne devenait qu’une question d’années voire de mois. Le savoir était donc collectif et il l’est encore. Les meilleures pratiques en santé mentale mises de l’avant par le réseau ont souvent été expérimentées par des petits groupes d’usagers et usagères çà et là dans le monde mais ces derniers et dernières n’avaient pas les moyens de faire connaître leurs expérimentations. Dans des réunions, l’argument qui va faire avancer la discussion ne vient pas nécessairement de celui qui parle le mieux ou qui donne l’impression d’en savoir le plus. Les bonnes idées se développent collectivement dans un contexte qui le permet et non pas dans la tête d’un grand génie. Plusieurs têtes valent mieux qu’une dit-on.
Les partisanEs de la parole individuelle des « génies » proviennent souvent de la classe dominante. Il est vrai que, compte tenu d’un accès plus grand à la culture, on apprend à mieux s’exprimer dans les familles de la classe dominante. Ce n’est pas parce qu’on parle bien qu’on dit des choses intelligentes. Malheureusement, l’école nous a fait assimiler l’idée que les gens qui parlaient bien étaient plus intelligents que les autres. C’est faux. Dans les réunions, on remarque que des personnes très humbles peuvent dire une bonne idée mais peu de monde en font de cas. Par contre, la même idée peut être reprise par un fort en gueule distingué et cela va apparaître comme génial. La parole collective est celle qui permet aux plus humbles de s’exprimer.
Peu importe que la parole sorte correctement ou pas, les usagers-ères insatisfaitEs des services du réseau ont le droit de s’exprimer. On veut que cette parole critique soit collective. On doit supporter tous les efforts pour discuter des enjeux liés aux soins en santé mentale. Les groupes d’entraide et de défense des droits doivent réserver du temps pour ces discussions. On doit aussi donner notre appui à ReprésentACTION qui se veut la parole collective des usagers-ères. On va arriver à une représentation raisonnée qui va partir des besoins collectifs des usagers-ères y compris et surtout de celles et ceux, qui n’ont pas bénéficié de bons services.
Par ailleurs, cette manière de discuter en vue de dégager des revendications collectives critiques doit servir non seulement dans le domaine de santé et des services sociaux mais aussi ailleurs dans la société. Par exemple, si on veut que des enjeux comme le logement social, l’inclusion des personnes démunies soient pris en compte lors de l’aménagement des quartiers, il est important que nos usagers-ères aient appris à débattre dans un cadre d’assemblée collective. En favorisant la parole collective critique, on favorise une véritable participation citoyenne dans tous les aspects qui concernent la vie des usagers et usagères.