Quand tu veux tuer ton chien, déclare qu’il a la rage. Quand tu veux exploiter quelqu’un, déclare qu’il est né pour être exploité. Voici deux exemples.
Au XVIIe siècle, les esclaves venaient aussi bien d’Europe que de l’Afrique même aux États-Unis. Ils étaient marqués au fer rouge. La couleur de la peau était une caractéristique comme une autre, comme d’avoir les yeux bleus ou bruns. Au XVIIIe siècle, la main-d’œuvre européenne produisait un certain nombre de marchandises (métal en barre, drap, armes, etc)qui allaient servir de monnaie d’échange en Afrique contre une main-d’œuvre aussitôt transportée aux Amériques pour cultiver des terres intensivement exploitées. Cette agriculture d’abord extensive et consacrée aux produits de luxe (tabac, indigo,etc) est devenue rapidement intensive avec le sucre d’abord, puis le coton, exportés vers l’Europe. C’est donc d’une façon dérivée et dépendante de l’origine géographique que la couleur de la peau a acquis un rôle, dans la mesure ou les occurrences présentées par la recherche de main-d’œuvre et l’extension du trafic triangulaire offraient des possibilités de marque. Autrement dit, ce n’est pas le manque de culture des africains ou la couleur de leur peau qui a fait que les noirs étaient réduits en esclavage :on les a qualifié de nègres parce qu’on voulait les exploiter et de là viennent toutes les platitudes sur les noirs comme quoi ils sont paresseux, non responsables , etc pour justifier leur exploitation.
Autre exemple. Vers 1350, il y eut la peste noire qui décima la moitié de la population européenne. Il s’ensuivit une rareté de la main-d’œuvre européenne qui se trouvait en position de négocier de meilleurs salaires. Les femmes formaient la partie la plus exploitée de la population des villes et participaient activement à toutes les contestations du pouvoir établi. Le pouvoir avait besoin de plus d’enfants pour accumuler des richesses et affaiblir le pouvoir de négociation des travailleurs. Les femmesdes classes les plus pauvres furent l’objet d’une répression spécifique, la chasse aux sorcières ou environ 100,000 femmes furent exécutées ou brûlées vives sur des bûchers. Les classes dominantes voulaient les forcer à avoir des enfants pour que la main-d’œuvre soit moins rare. Certaines religions faisaient même un devoir aux hommes de violer les femmes. Il s’ensuivit les couplets sur la vie de famille, que la femme devait servir son mari et sa famille, que c’était sa nature. Encore une fois, ce n’était pas leur qualité de femmes qui justifiait leur asservissement, mais la nécessité de l’exploitation. On nomme cette période comme une d’accumulation primitive du capitalisme ou les aristocrates en profitent pour chasser les tenanciers et paysans de leurs terres pour pratiquer l’élevage : ils transforment la juridiction qu’ils ont sur leurs terres en propriétés privées. Il s’ensuit une répression féroce de tous les nouveaux vagabonds éjectés de leur terre. Ils volent aux hommes leur terre et volent le travail des femmes à l’intérieur des familles. Le travail gratuit des femmes est une forme d’accumulation primitive qui se poursuit encore de nos jours même si elle moins généralisée qu’auparavant.
La nature est une justification plus large que l’hérédité pour justifier l’exploitation. Par exemple, on peut assigner une certaine nature culturelle aux musulmans ou aux juifs sans se préoccuper de leur histoire.
Autre tendance :l’éthologie, science du comportement social de l’homme et des animaux. On compare relativement peu les différentes espèces animales entre elles, mais avec l’être humain, oui. On détache un détail isolé pour ensuite faire le pont avec l’être humain : ils viennent offrir un miroir à chacun des aspects de la socialité de l’homme : les simiens pour l’élevage des petits et pour la nourriture, les étourneaux pour le territoire, les loups pour l’honneur et l’agressivité. La sagesse des animaux, leur sens maternel, le respect de la hiérarchie envoient un message sur ce que doit être la société. Dans l’éthologie s’exprime ce que ne connaissent que trop les groupes opprimés ou exploités : l’affirmation voilée de leur animalité. Pendant longtemps et jusqu’à aujourd’hui, on a aussi dit que la classe ouvrière ne pouvait se gérer elle-même et qu’elle avait besoin de patrons, que sa nature était d’exécuter les ordres de la classe dominante. Les travailleurs ne s’y trompent pas quand ils se plaignent d’être traités comme des animaux.
Et la santé mentale dans tout cela? Historiquement, le capitalisme a toujours traité les fous comme des animaux. Au XVIIe siècle, on gardait les fous nus dans des prisons non chauffées. Leur ‘’nature’’ justifiait tous les mauvais traitements qu’on leur faisait subir : chocs insuliniques, douches froides, etc. Encore aujourd’hui, on donne des électrochocs. Même les psychiatres moins portés sur les médicaments parlent d’une fragilité particulière pour expliquer pourquoi certaines personnes ayant une famille dysfonctionnelle par exemple ne s’en sortent pas alors que d’autres dans des circonstances semblables s’en sortent. On donne des médicaments qui, souvent, n’ont pas été testés dans les normes scientifiques (par exemple, on donne les résultats quand ça semble fonctionner, on omet d’indiquer les fois ou de graves effets secondaires ont été décelés). Donc, dans les faits, les psychiatrisés sont traités à leur insu comme des animaux de laboratoire. Encore aujourd’hui, la psychiatrie parle d’hérédité pour expliquer certaines maladies mentales.
Bien sûr, les psychiatriséEs sont exploités dans des ateliers de travail avec un salaire minimum ou moins. Mais le principal gain est la multiplication des maladies mentales pour que tout le monde ou presque consomme des médicaments psychiatriques imaginés par les compagnies pharmaceutiques. Il a été question par le passé d’imposer des neuroleptiques à titre préventif aux populations à risque comme les noirEs des ghettos, les itinérantEs, etc. On fait actuellement campagne pour convaincre le public que les psychiatriséEs sont dangereux et ont trop de droits alors que le peu de droits qu’ils ont ne sont même pas respectés.Bref, on imagine constamment de nouvelles raisons pour exploiter les psychiatriséEs de toutes les manières. Et avec le manuel des diagnostics, on trouve constamment de nouvelles raisons pour ne pas nous faire confiance.
Jacques Saintonge